NOF.
#42

Gérald Toto / Sway

mamani keita
Sway. Drôle de mot. Anglais. Soyeux, et joyeux. Qui sonne comme un souhait. D'après le dictionnaire : balancement, ondulation. Ceux de Gérald Toto, qui trente ans après avoir choisi d'embrasser une carrière musicale a conservé l'enthousiasme, les rêveries et l'énergie de son adolescence. Intacts. Mais épurés, passés au tamis des années. Des années à chercher « la ligne claire », simple et vraie, qui lui ressemble.

Tout cela bien sûr a une histoire, est le fruit d'un long cheminement. Celui d'un gamin né à Paris de parents venus des Antilles. Pas musiciens, plutôt fonctionnaires aux impôts. Mais mélomanes, comme tout le reste de la famille, les tontons en tête qui sont des fous de haute-fidélité. Leurs collections de vinyles écoutés au casque « libellule » sont une fête pour le garçon : soul, musiques afro-caribéennes, mais aussi - parce qu'ils voulaient retourner aux sources - soukouss zaïrois ou makossa camerounais, qui faisaient vibrer leurs soirées dansantes. Du petit lait. La radio pourvoit à l'apprentissage de la variété française, et l'emmène du côté de chez Swann ou le fait rêver d'un flirt avec toi. Et puis son premier disque, un vinyl de Pink Floyd, qui avec Neil Young, Marley et Jethro Tull, sans compter d'illustres jazzmen, seront ses compagnons de chambrée.
Enfance heureuse, donc. Avec Guitare, dès l'âge de dix ans, et puis la basse, qui le fascine. Un prêt étudiant lui sert à financer son premier home studio. C'est là qu'il se découvre laborantin, savant fou de sons, avec la possibilité de réaliser toutes les idées jusque là emmagasinées dans sa tête. Homme-studio. Un boulevard pour sa gourmandise... illimitée. Au point de tout vouloir, de tout vouloir dire, de tout vouloir donner. Le talent, en mode dispersé.

L'enregistrement de l'album Toto Bona Lokua (Nø Førmat!, 2005) s'avère alors déterminant. Gerald sait qu'avec ses deux comparses, exigeants, il doit aller au plus juste, faire preuve de rigueur et de clairvoyance. Il cherche désormais cette ligne claire, épurée, un fil d'Ariane dépouillé des figures de style qui l'empêchaient de trouver son style.

Aller à l'essentiel, et se faire du bien pour en faire aux autres. C'est exactement ce souhait que réalise Sway. Une ligne claire, qui ondule et se balance, suivant le rythme de la vie. Comme un serpent qui danse. Gérald Toto nous y emmène en voyage dans les grands espaces de l'intime, comme s'il susurrait à l'oreille de chacun. Quelque chose de doux, un cocon où l'on se sent bien. En creusant au fond de lui pour chercher l'essentiel, il parvient à faire résonner ce qui l'est aussi pour nous. La voix y est maîtresse, capable de toutes les nuances, et se passe souvent de mots, du moins ceux que l'on trouve dans les dictionnaires. Le plus souvent, Toto formule des phrases imaginaires, laissant les sons de sa langue spontanée exprimer les émotions, mieux que toute parole répertoriée. Comme une langue universelle, profondément humaine, compréhensible par tous, y compris les bébés. Ses voyelles, comme celles de Rimbaud, ont leurs couleurs, et Toto a sa propre alchimie pour les faire sonner. Les cordes vivantes et légères, le udu (percussion en terre cuite), et même les machines caressent la voix, sans jamais la brusquer. Voilà pourquoi Sway est un bijou de subtilité, une grand bol de soleil et d'air frais qui puise à tous les métissages, et nous emmène sur les terrains de la romance pop (My Girl friend), du blues (My love) ou des choeurs éthérés et suaves soufflant comme des brises sur les plages de Californie (Away Alive). S'étant débarrassé des figures de style, Toto peut désormais tous les aborder, poussant nos imaginaires à la liberté. Dans Sway, chacun peut s'inventer son Mississipi, ou son voyage vers Alger (Alger 69), l'inquiétante et apaisante beauté de la nuit qui recouvre le monde (The night is coming) où les affres entêtantes d'un chagrin d'amour (It's a Love Pain).


A écouter Gérald Toto sur Sway, sur scène et dans la vie, on se dit que l'âge et l'adolescence font des merveilles quand on les conjugue dans l'existence. Comme si la vie pouvait toujours se réinventer. En douceur. D'ailleurs, quand vous écouterez ce disque, Gérald Toto sera déjà ailleurs... en train, doucement, de se balancer.
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