NOF.
#36

Oumou Sangaré / Mogoya

mamani keita
Oumou Sangaré est née le 2 Février 1968 à Bamako, capitale du Mali. Elle est la fille cadette d'une famille Peul originaire de la région forestière du Wassoulou. Enfant, elle a très peu connu son père, Dari Sangaré, qui a quitté le foyer familial quand elle avait deux ans. Abandonnée, sa mère Aminata Diakité se fait commerçante pour faire vivre ses quatre enfants. Oumou lui vient en aide en vendant des petits sachets d'eau potable dans les rues de Bamako. Elle a cinq ans quand son don pour le chant en fait une véritable attraction dans son quartier, elle s'attire la gloire lors d'un concours interscolaire où elle fait gagner son école maternelle du quartier Daoudabougou. À 18 ans, Oumou a déjà une longue carrière professionnelle derrière elle. Chanteuse très sollicitée pour les «soumous » (cérémonies nuptiales et baptismales), elle est passée par l'Ensemble National du Mali, a tourné en Europe avec le groupe Djoliba et s'apprête à enregistrer à Abidjan sa première cassette produite par Abdoulaye Samassa. La cassette intitulée Moussolou (les femmes) se vend à plus de 250 000 exemplaires, record inégalé à ce jour en Afrique de l'Ouest.

Si la musique très dansante propre à sa région d'origine du Wassoulou l'explique en partie, la raison de ce succès retentissant tient aussi à la nature des textes chantés. Qu'il s'agisse de la condition féminine, de l'exode économique, de la déforestation, elle s'insurge, dénonce, vitupère avec une force, un talent qui finissent par trouver écho hors le continent africain. En 1993 sort Ko Sira, enregistré à Berlin, puis 3 ans plus tard Worotan, deux albums parus sur le label World Circuit qui lancent sa carrière internationale.

Parallèlement à sa carrière, Oumou a ouvert un hôtel à Bamako (le Wassoulou), lancé sa propre marque de voiture (Oum sang) et créé sa ferme pilote. Après Oumou, compilation augmentée d'inédits, elle revient à la musique en 2009 avec Seya, produit par Cheikh Tidiane Seck prouvant que la business woman, modèle de réussite pour toutes les africaines, n'a pas enterrée l'extraordinaire chanteuse, et que la réussite n'a pas éteint la flamme de l'indignée, toujours prompte à dénoncer les injustices.

Mogoya, son premier album depuis 2009, marque son grand retour à la chanson. Oumou y parle de ce qu'elle connaît le mieux, à savoir les rapports humains (Mogoya peut se traduire par « les relations humaines aujourd'hui »). Oumou explique les problèmes spécifiques que rencontre la femme africaine au quotidien, les rapports souvent difficiles qu'elle entretient avec le monde des hommes.
« Quand j'ai débuté ma carrière je n'avais qu'une idée en tête : venger ma mère» nous dit celle qui aujourd'hui dans Minata Waraba (Aminata la lionne) rend un bouleversant hommage à cette mère ayant montré face aux épreuves un courage exemplaire dont la fille s'est toujours inspiré. Or après avoir subi des blessures d'enfance parmi les plus cruelles -
l'abandon du père, l'extrême misère - Oumou doit aujourd'hui se protéger des maux que la notoriété lui attire : la jalousie, la calomnie, l'ingratitude, la trahison.
Autant d'atteintes dont Mogoya exprime le dépassement par la musique, notamment sur des chansons telles que
Bena Bena et Kounkoun où elle invite à ne pas sombrer dans le ressentiment.
Dans Yere Faga, elle aborde avec une impressionnante franchise l'un des fléaux que connaît la société malienne moderne, le suicide.
Faisant référence aux nombreuses calomnies qui l'ont prise pour cible ces dernières années, elle donne en exemple sa volonté à ne jamais s'avouer vaincue. Parce qu'elle a du dès son plus jeune âge assumer des responsabilités au sein d'une famille abandonnée par son chef, elle est en mesure de dispenser des conseils de grande soeur. Comme sur Kamelemba où elle prévient les jeunes filles de la fourberie de certains garçons dans une partie du monde où le phénomène des maternités précoces est dramatique.

Si le nom d'Oumou Sangaré demeure associé à la remise en cause de coutumes ancestrales, telles que la polygamie et l'excision, il peut l'être également, avec les chansons Mali Niale, Djoukourou et Fadjamou, à la promotion de certaines valeurs dites traditionnelles.
Dans la première, elle exalte les forces vives de son pays, le Mali, qui tente de se relever d'une crise multiple. Dans la seconde, elle expose cette idée élémentaire qu' « on a toujours besoin d'un plus petit que soi. » Enfin dans la troisième, elle vante les mérites de l'appartenance, ethnique ou dynastique, dans une société édifiée sur l'interdépendance entre groupes et familles.
En cela Mogoya équivaut au parachèvement d'une conquête, celui d'un équilibre personnel pour cette battante qui donne l'exemple après s'être tracé une voie royale en dépit des préjugés et des obstacles rencontrés. Un équilibre qui est aussi d'ordre musical avec la production de cet album décidément pas comme les autres...

Le projet a été produit entre Stockholm et Paris, avec la contribution du collectif de musiciens français "Albert" (Vincent Taurelle, Ludovic Bruni et Vincent Taeger), et la participation du légendaire batteur Tony Allen. À partir d'une base enregistrée par le Suédois Andreas Unge, dans laquelle explose notamment le talent du jeune guitariste malien Guimba Kouyaté, Albert a ajouté sa french touch, réalisant l'imbrication parfaite entre instruments traditionnels africains - kamele n'goni, karignan, percussions...- et corpus guitare, basse, batterie, claviers.
Si l'expression retro futuriste n'était à ce point galvaudée, on souhaiterait l'attribuer à cet album qui nous parle d'une Afrique aussi éternelle que contemporaine et qui constitue à n'en pas douter l'un des plus beaux achèvement musical de la carrière d'Oumou.
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