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¿Que Vola? / ¿Que Vola?

mamani keita
¿Que vola? «quoi de neuf ?» aiment se dire les Cubains pour entamer leurs salutations, si bien que l'expression est devenue un gimmick dans l'espagnol fort musical qu'on parle sur l'île. ¿Que Vola? c'est aussi le nom donné à un projet musical inédit, qui rassemble un septet français de jazz, réuni par Fidel Fourneyron, et trois jeunes et déjà émérites percussionnistes cubains, aussi brillants dans l'art d'appeler les divinités afro-cubaines, que dans les clubs de La Havane où leur rumba est entrée avec fracas.

Ce genre de rencontre musicale ne se bâtit pas en un jour. Il commence par un voyage, celui de Fidel Fourneyron, parti en 2012 à Cuba pour voir à quoi ressemble le pays qui a inspiré son prénom. Avec lui, son trombone et une adresse, Calle Luz, rue de la lumière. C'est le point de chute que lui a indiqué Thibaud Soulas, l'ami contrebassiste qui a vécu là-bas, s'est plongé dans la musique, baigné dans la vie, et en est revenu avec des amis. Parmi eux, trois percussionnistes afro-cubains. Fidel, seul, met ses pas dans les siens. Et y revient, s'initiant aux rythmes de la rumba avec Barbaro Crespo Richard, alias «Barbarito», le plus jeune d'un dangereux trio de frappeurs officiant dans le célèbre orchestre Osain del Monte. A sa tête, Adonis Panter Calderon, que toute la Havane reconnaît comme le plus doué de sa génération. Le troisième larron, Ramon Tamayo Martinez, est comme ses amis pétri de rythmes sacrés, ceux des cultes afro-cubains qui invitent les dieux de l'Afrique à danser chez nous les humains. Et les tambours et les chants sont là pour ça, saturer l'air de sacré pour libérer l'énergie des vivants, qui n'écoutent pas seulement, mais vivent la musique en y participant. Fidel, sociétaire de l'Orchestre National de Jazz, entrait dans un monde où la musique, le corps et l'esprit ne font qu'un. De quoi déclencher de nouveaux rêves, ouvrir de nouvelles perspectives.

Et si les cuivres remplaçaient les chants des musiques sacrées, et dialoguaient à leur place avec les tambours batá ? Il ne manque alors plus qu'une étincelle pour que germe Que Vola. Xavier Lemettre, qui dirige le Festival Banlieues Bleues, la fournit. Il propose à Fidel Fourneyron de faire de cette idée, sur scène, une réalité.

Le tromboniste se replonge avec Thibaud Soulas dans le labyrinthe des rythmes qui accompagnent les cultes : ceux de la Regla de Ocha, du Palo ou de la mystérieuse confrérie Abakua. La rumba aussi, profane et populaire, qu'Adonis et ses amis jouent avec maestria. Ils définissent un répertoire, reflet de l'immense variété des rythmes et des chants sacrés. Fin 2017, ils repartent ensemble à la Havane retrouver leurs amis Cubains. Fidel enregistre, et se met à composer, superposant mélodies et arrangements aux rythmes consacrés. Avec Thibaud Soulas, ils s'entourent de talentueux jeunes jazzmen français, pour beaucoup venus du groupe Radiation 10. Les Cubains les rejoignent à Paris. Le dialogue se noue, flotte la magie.

Magie. Le mot n'est pas galvaudé, tant les percussions irradient de leur magnétisme l'ensemble des sept morceaux qui constituent le disque. Les cuivres et les Vents (Fidel Fourneyron, Aymeric Avice, Benjamin Dousteyssier & Hugues Mayot), aériens, survolent avec autant de classe que de poésie les pulsations terriennes des tambours, que la batterie (Elie Duris) déborde en ouvrant d'autres possibles. Le Fender Rhodes (Bruno Ruder) laisse planer sur les morceaux ses mystérieuses ambiguités, aussi énigmatique que le sourire d'Eleggua, la divinité qui ouvre les chemins. Quant à la contrebasse (Thibaud Soulas), elle entretient une discussion aussi haletante que fusionnelle avec les percussions.

Car l'ensemble de ce voyage pourrait bien s'écouter comme une cérémonie, dont la trajectoire progresse vers le coeur palpitant de cette rencontre musicale. Elle s'ouvre sur un prologue (Kabiosile- saludo a Changó) où cuivres et vents «chantent» un salut à Changó, divinité de la foudre. Et se termine sur Resistir, un morceau épique qui semble revisiter la longue histoire des Afro-Cubains, semée d'ombres et de lumières, de chaînes et de larmes brisées par la résilience d'un peuple qui ouvre en musique les chemins de sa liberté. Entre les deux, le voyage ¿Que vola? prend régulièrement les couleurs lancinantes de la transe, enveloppées d'une poésie cueillie sur les sentiers qu'aimait arpenter John Coltrane.
Ne vous étonnez donc pas si, à les écouter, à les voir sur scène, vous surprenez vos pieds en train de bouger. Ces musiciens dégagent une énergie telle qu'il est bien difficile d'y résister. C'est là toute la force de ce projet, et toute sa nouveauté.

En somme, la réponse à la question «quoi de neuf ?» ¿Que vola?
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