L'art du medium
Tout à la fois guitariste, compositeur, arrangeur et producteur, Nicolas Repac est fondamentalement un homme de l'ombre. Non par timidité excessive ou coquetterie arty. Mais la musique, pour lui, n'a que très peu avoir avec la tyrannie du « tout image » et l'éclat cru des sunlights. Alter ego d'Arthur H depuis près de 15 ans, jamais plus à son aise que dans l'espace calfeutré de son studio des hauteurs de Montmartre, Repac, seul face à ses machines, aime plonger dans sa nuit pour en ramener tel un medium inspiré les échos fantomatiques de quelques mondes enfouis. Passé maître dans l'art subtil des samples et de leurs associations libres, son travail consiste ensuite à leur redonner comme une seconde vie poétique et musicale en les réintroduisant dans la rumeur vibrante du grand métissage contemporain.
« Swing swing », un manifeste retro-futuriste
Inaugurée au tournant des années 2000, sa collaboration avec le label Nø Førmat! lui a certes conféré une notoriété nouvelle. Ses rêveries sensualistes autour de la musique africaine et de la voix puissante de la chanteuse malienne Mamani Keita (albums « Yelema » et « Gagner l'argent français ») ont incontestablement marqué les esprits. Tout comme « La grande roue », album de chanson à la fois urbain, nocturne et déambulatoire...
Mais c'est probablement « Swing Swing », magistrale et ludique divagation autour du jazz qui à ce jour offrait le plus juste aperçu des talents protéiformes du compositeur. De façon légère et instinctive, Repac y interrogeait à partir d'enregistrements historiques samplés et habilement « re-composés », cette manière si particulière de se « poser » dans le temps qu'on appelle le swing, en lui proposant simultanément tout un éventail de devenirs. Une approche rétro-futuriste, revisitant le passé sans être passéiste, qui sonnait comme une sorte de manifeste discret de son art poétique.
« Black Box », aux sources du blues
C'est dans un esprit très voisin qu'il récidive aujourd'hui avec « Black Box », magnifique voyage musical consacré cette fois au blues dans tous ses états. Plongeant résolument aux sources de cette musique matricielle entre toutes, Repac redécouvre la pluralité des mondes embarqués dans la même expérience traumatique de la déportation, et révèle tous ces territoires idiomatiques contaminés en retour par la magie noire de cet art à la fois archaïque et révolutionnaire, de ses douze mesures claudicantes et de sa gamme pentatonique universelle.
Documents sonores et voix contemporaines
« Black Box », à travers un éventail de voix profondément émouvantes, enregistrées spécifiquement pour l'occasion ou issues de documents sonores samplés, s'apparente en effet à une sorte d'inventaire saisissant de cette plainte joyeusement désabusée, qui partout dans le monde ne cesse de chanter la nostalgie du paradis perdu.
Des Works Songs des prisonniers noirs captés par Alan Lomax dans les années 30 à la mélopée intemporelle d'un chaman amérindien en passant par le proto-rap joyeux de Bo Diddley, la détresse lancinante d'une chanteuse tzigane de Serbie, la gouaille créole des conteurs d'Haïti, la douce complainte de Cheikh Lo, ou encore la saudade métissée du grand chanteur angolais Bonga, c'est la planète entière qui à travers les machines de Repac décline la multiplicité de ses visions du blues.
L'âme des machines
Nicolas Repac « met en scène » avec maestria chacune des voix qu'il accueille dans son projet, travaillant avec un vrai sens cinématique à constituer autour du chant brut et épuré une sorte d'environnement sonore mouvant, zébré d'interventions de guitare électrique et pulsés de grooves entêtants. Mais rien de formaliste ni de systématique dans ce processus. Qu'il épouse avec sensualité les lignes et les inflexions de la mélodie ou au contraire joue la carte de la confrontation et du détournement pour mieux en révéler le discours subliminal, Repac, tout au long de ce disque, n'a qu'une idée en tête : laisser jaillir l'émotion brute présente au coeur des matériaux empruntés. Avec lui les machines ont décidément une âme !