NØF.
#23

Vendredi / Veneris Dies

mamani keita
Veneris Dies est le premier EP de ce duo parisien. Et c'est une révélation pour qui sait tendre l'oreille. Six titres de musique électronique, puisqu'il faut bien des étiquettes, mais avec ce supplément d'âme qui fait la différence. Pierre-Elie Robert et Charles Valentin, la vingtaine toute fraîche, n'avaient jusqu'alors rien produit d'officiel. Quelques titres chacun de leur côté, rien qui ne les satisfasse complètement. Il fallait être deux.

Leur rencontre date d'à peine deux ans. Des amis communs, mais cela ne suffit pas toujours. D'autant que leur vie n'avait rien à voir. Père pasteur et hauboïste émérite pour Pierre-Elie, à l'enfance libre et paisible. Parents bohèmes éditeurs d'art pour Charles, qui fut longtemps rétif à toute forme d'autorité. « On parlait musique ce jour-là, se rappelle Pierre Elie, je lui ai proposé d'aller enregistrer des sons dans la rue. Pour une fois, quelqu'un me répondait oui. ».

C'était un vendredi. Il en ont fait leur nom. Simple ? Oui et non. Vendredi signifie tant de choses pour tant de gens. C'est le jour de tous les possibles : de pénitence, saint, ou d'avant shabat, la promesse d'une sortie de nuit, d'une vie sauvage qui sait... Le jour de Venus (Veneris Dies) enfin, déesse de l'amour, qui vit l'être aimé tué par un phacochère... dont ils ont fait leur logo.

Le hasard n'est qu'un point de départ chez Vendredi. Et ne suffit jamais, même s'ils lui accordent une place de choix dans leur musique. Ce sont les notes d'une accordéoniste rencontrée à Venise (Chiara) et engagée sur le champ pour une session improvisée alors qu'ils terminaient cet EP dans la cité des doges, le crépitement d'un départ d'incendie dans leur chambre d'étudiants alors qu'ils enregistrent Le vide et la lumière. La démarche, très concrète, rappelle celle de l'Anglais Matthew Herbert, fondateur d'une house music domestique inspirée des bruits du quotidien.

Vendredi fonctionne ainsi, à l'écoute, à l'instinct, puis au travail patiemment remis sur l'ouvrage pour parvenir à ce bel et fragile équilibre. Cet instant suspendu entre les contraires, le froid des machines et la chaleur du son, la fantasmagorie et la réalité. Comme sur les premiers disques de James Blake, héraut du dubstep londonien, fantôme à la voix blanche mais fou de R&B, que les deux ont écouté des nuits entières lorsqu'ils l'ont découvert. C'était après avoir usé ceux du saxophoniste Pharoah Sanders, de Flying Lotus ou King Crimson. L'âme toujours.

La terre, l'espace - plus industriel, plus froid, viennent des rythmiques. Elles sont encore douces sur Veneris Dies, mais contiennent une violence sourde, une puissance qui se révèle un peu plus à chaque écoute. Quand il les travaille, Charles puise dans ses racines techno, les musiques clubs qui l'ont fait grandir tout autant que les romantiques russes, Rachmaninov en tête. L'harmonie revient à Pierre-Elie. Logique : on ne sort pas indemne d'une enfance baroque, avec Bach et Haendel en compagnon de vie. Et lorsque les deux s'accordent à la perfection, cela donne le vertige comme dans le Le vide et la lumière. Trois minutes d'une rencontre qu'on croyait impossible. Mais le vendredi, tout est possible...
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