Son précédent opus, O Deus que devasta mas também cura avait dépassé « sa » planète Brasil et avait conquis nombre d'oreilles curieuses, en Europe. Voici le nouvel opus, Sobre noites e dias , cette fois sur le label hexagonal No Format. Non pas son second, mais le sixième. Car Lucas Santtana est un homme aux mille vies (musicales et-pas-que...) et à 43 ans, il n'est vraiment reconnu au Brésil que depuis peu. Depuis que dans le reste du monde, on parle de lui comme la relève d'une musique brésilienne dont les Caetano Veloso, Gilberto Gil, Chico Buarque, héros (pas fatigués) ont atteint un âge « respectable ».
Lucas Santtana, ce sont des cycles, ou plutôt des couleurs : son premier album était percussif, le second, baile funk, le troisième, dub, le quatrième orienté voix et guitare. C'est depuis le cinquième, qui l'a fait connaître en France, qu'il brasse toutes ces influences, et d'autres.
Sobre noites e dias, le nouveau, confirme cette confluence, une palette post tropicaliste, à la fois roots et urbaine. En somme, un disque au futur antérieur. Petit cousin d'Arto Lindsay, mais de l'autre hémisphère. Car là où Arto le New Yorkais s'est approprié le portugais du Brésil, Lucas apprivoise l'anglais, d'où un bilinguisme qui les sort tous deux des codes. Comme depuis toujours, Lucas compose sa matière, seul ou (parfois) avec complicité de proches, de musiciens qui comme lui échappent aux ornières. Des textes souvent pétris de références féminines, où la poésie fraie avec l'absurde, comme cette Mariazinha morena clara : le soleil du Brésil ne vaut pas les crevettes de la Hollande de... Van Persie ! On voit bien là la fibre familiale de son (vrai) oncle Tom Zé. Ses textes en anglais sont plus atmosphériques, comme s'il étirait nonchalamment le temps, à la façon d'un autre cousin des Amérique, Devendra Banhart. Ses digressions foutraques dignes d'un Pierrot descendu de sa lune reçoivent un emballage, voire un canapé, qui vont du quatuor à cordes à la grosse basse dubstep, du trio hautbois-basson-clarinette aux guitares du fleuve Niger. Là, le gaillard, caméléon des six cordes, possède son sujet. Tout comme il maîtrise les machines. D'ailleurs, organique et synthétique créent un paysage à mille facettes.
Hors Brésil, ses compagnons de jeu sont autant de surprises, comme dans Human Time où Fanny Ardant vient pour un final onirique susurrer une équation d'amour, ou bien ce Diary of a bike où Féfé (ex Saïan Supa Crew) passé par São Paulo, a posé ses lyrics « cyclistes » avec un flow pétillant. Autre talent hors Brésil mis à contribution, Vincent Segal, magister de l'archet sur son violoncelle, grand gourmet du Brésil. Et encore le DJ et producteur allemand Daniel Haaksmann.
Parmi les Brésiliens embarqués dans l'aventure, citons notamment ceux qu'on se dispute au Brésil, le fidèle Bruno Buarque (de Barbatuques à Céu), Kiko DiNucci et Thiago França, les trublions de Meta Meta, Une disparate association de bienfaiteurs, des artisans du son.
On avait quitté Lucas Santtana contant dans son album précédent sa rupture un jour d'orage de fin du monde. On le retrouve amoureux, à la fois taquin et apaisé, incitant les oreilles curieuses à batifoler. Pas étonnant qu'il soit dans la lignée des ses aînés, Baïanes comme lui, Caetano Veloso et Gilberto Gil (avec qui il a d'ailleurs commencé, il y a plus de quinze ans). Il s'est d'ores et déjà affranchi de ce glorieux mais pesant héritage. Mais, puisqu'on est à Salvador de Bahia, il s'attèle à un frevo rigolo comme on aime les reprendre au Carnaval.
A présent, c'est lui qui bâtit un héritage. Après tout, passé la quarantaine, on peut revendiquer d'être maître à bord, tout en s'affirmant comme une découverte. Il mérite sa place dans le bien nommé label No Format. Le premier Brésilien à faire partie de la famille. Bienvenue ! Seja bem vindo !
Rémy Kolpa Kopoul